Le premier partenaire de bridge de Papa, Monsieur Revol, un châtelain campagnard du début du siècle, avec ses étangs et ses bois. J’étais content quand Papa partait le week-end faire des tournois et j’attendais ses résultats et ses prix.
Des belles forêts aux alentours où papa nous amenait souvent aux champignons. Giroles, ceps, trompettes de la mort. Du gui et du houx pour noël qui tapissaient notre chambre. Des étangs aussi où nous allions pécher.
Par commodité plus que par souci éducatif, nous étions libres. Le terrain de foot, le vélo, la pêche dans un canal (la spécialité de Jacques) et les jeux avec les copains. Le jeudi, nous allions aux louveteaux. Nous avons servi la messe. Jacques a ouvert la voie en s’inscrivant dans club de basket. Je l’ai rejoint. J’aurais pu fumer comme beaucoup d’enfants du terrain de foot mais j’ai toujours eu malgré tout un fond de sagesse.
De temps en temps, Papa jouait aussi avec nous, au Monopoly ou à un jeu appelé « Formule 1 ». Des jeux que nous prenions très au sérieux. Première leçon de bridge en famille vers 11-12 ans. Apprentissage d’une méthode d’enchère, à cette époque, « La longue », remplacée plus tard par « La majeur 5ème ». J’ai préféré cela de beaucoup aux leçons d’anglais que Papa nous a données avant l’entrée en 6ème. Et, pourtant, il était prof d’anglais. D’ailleurs, avec l’Histoire-Géo de maman, ce sont les deux matières dans lesquelles j’ai toujours été nul. Quand des copains de classe apprenaient que mes parents étaient professeurs, ils pensaient automatiquement prof de maths. Et, non.
C’est Gaby qui, quand nous le voyions, commençait par nous dire, sur un ton de commandement mais avec bienveillance, « apportez-moi votre livre de mathématiques ». Il nous donnait des quantités d’exercices que nous mettions notre point d’honneur à faire. Fièrement, nous apportions nos solutions. Mais, je n’ai apprécié les maths que plus tard, à partir de la seconde. J’ai eu la grande chance qu’on introduise les maths modernes. Les concepts et l’abstraction ont toujours été mon truc.
Alain a sauté le cours préparatoire. Maman raconte qu’elle lui avait appris à lire en 15 jours. Dans un couloir, il y avait un bout de tuyau qui ne servait à rien et sur lequel nous butions souvent. Il a eu l’idée de le tourner le long du mur. Maman a dit « ce petit est intelligent ».
Nous passions les fêtes de noël à Vierzon. La famille s’est réunie pour le baptême de Frédérique et la communion solennelle de Jacques et de moi. Comme cadeau, j’ai demandé des timbres que je collectionnais à ce moment. Cette collection de timbres ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. J’ai été plus heureux en collectionnant les bons d’une quinzaine commerciale. Bingo ! Nous avons gagné le premier prix, un voyage à Palma de Mayorque. Maman y a invité Poupée et, Mappie, une autre amie les a rejointes. Il a dû se passer quelque chose car le mari de Mappie, Paul Arnault, un avocat bien établi, s’est fâché avec maman définitivement. Mais, il est resté très ami avec Gaby, son médecin, qu’il faisait beaucoup rire.
Deux griefs cependant, l’un pour Papa qui nous imposait l’étude jusqu’à 19 heures, pour éviter que l’on se dispute à la maison, et, l’autre pour Maman, qui nous amenait chez le coiffeur tous les 15 jours et nous faisait porter des culottes courtes. Rebelle, pour protester contre l’étude que je trouvais injuste, je me faisais faire systématiquement les devoirs par des grands. D’ailleurs, cela me rappelle les devoirs de vacances que Papa nous a fait faire à 7-8 ans. Un jour, j’ai fait exprès de ne pas comprendre la règle de trois. Cela a duré, je n’en ai jamais fait une.
Nous faisions le trajet de l’école à vélo, passant par tous les temps, et le soir aussi, sur un chemin de terre étroit entre deux parties d’un canal. Je comprends que maman en ait fait des cauchemars. Un jour, ayant crevé, j’ai négligé de réparer mon pneu et j’ai demandé à papa de m’amener à l’école. Il a refusé, alors, je ne suis pas allé au lycée. Il m’a fait coller tout un dimanche, 8 heures ! Pratiquement la seule colle de toute ma scolarité, car j’étais assez malin, plus que discipliné. J’ai pas trouvé çà très glorieux de sa part, me punir par personne interposée.
L’année de ma 6ème, beaucoup de cris le soir entre Papa et Maman, alors que nous étions couchés. J’attendais patiemment que cela cesse. Ca et les sens interdits du Lycée Jules Renard où j’étais m’a un peu perturbé cette année. Mais bon rien de bien méchant.
Nous avions une maison avec un jardin. Nous avons essayé un potager sans beaucoup de réussite, quelques maigres radis et des fraises riquiquis. En face, il y avait la maison d’un vieux cordonnier, Monsieur Verlogeux, qui rentrait souvent saoul. J’avais beaucoup de peine pour lui.
Mon copain de classe s’appelait Bruno Bellot. Il avait une tête sympa avec des cheveux bouclés. Il excellait au piano. Un soir, il a donné un concert auquel nous avons assisté. Sa mère était directrice d’école dans un village à côté de Nevers. Mais, comme nous changions de ville tous les 3-4 ans, difficile de garder nos amis dans la durée.
Papa nous a imposé un chien. Miouki. Un berger belge dont il était fier. Tout noir à poil long, très beau mais caractériel. Avec beaucoup de sérieux, il a fait de nombreuses séances de dressage mais son cas était désespéré. C’était un chien de garde peureux. Rien de pire.
En plus du bridge, Papa faisait du cheval. Pépé lui avait donné le virus et il a toujours aimé les animaux. Jacques, qui a toujours eu des chats et des chiens, tient de lui. Une fête costumée a été organisée à Nevers. J’ai un vague souvenir de Princesse de Clèves. Ayant l’un des premiers rôles, il a défilé à cheval avec et sa photo est passée dans le journal. Comme toujours Maman a dit qu’il prenait la pose sur la photo.
Maman appréciait modérément la vie nivernaise. Aux antipodes de sa vie en Algérie. Loin de ses amis et de sa famille, alors qu’elle ne les avait jamais quittés. Le temps, les mentalités, un autre monde. Malgré tout, j’imagine qu’elle devait avoir la satisfaction de nous voir grandir. Nous mangions comme quatre et nous étions sans problème. D’incessantes disputes, bien sûr, mais c’est aussi un signe de bonne santé.
Quelques vacances d’été à Luchon, Maman faisait une cure pour soigner son vertige de Ménière, Papa jouait au bridge. Effet probable de la cure, maman n’a jamais autant brillé au bridge qu’à Luchon. L’altitude devait mieux convenir à son radar ! Pépé et mémé nous accompagnaient en vacances. Pépé faisait sûrement du cheval quelque part. Mémé passait ses journées avec nous. Nous nous arrêtions à la terrasse d’un café toutes les après-midi pour une glace. Chocolat liégeois, profiteroles, pêche melba… Avec le diabolo, le jeu en vogue chez les enfants était de faire voler son avion sur une grande esplanade, bordée d’arbres. Les avions s’y accrochaient souvent dans les branches. J’étais le premier à grimper pour les rechercher, assez haut d’ailleurs, mais ce challenge me stimulait. Les parents me proposaient souvent des pièces que j’ai toujours refusées. Un jour, Papa avait dû beaucoup gagner au jeu, il est venu avec un avion pour chacun, selon notre âge. Le mien, le « grand raid », était orange, celui de Jacques bleu et celui d’Alain rouge. A l’occasion, papa a fait quelques balles de ping-pong avec nous. A ce moment, pour nous, il jouait très bien.
La deuxième année, après Luchon, nous sommes allés en vacances en Espagne, à Puerto de Llansa. La mer. Les coups de soleil. Le dépaysement. Visite à Cordobès de la maison de Salvador Dali. Une corrida. Parties toujours acharnées avec Jacques, 8 américain, osselets, jeu de micado avec des roseaux. Inévitablement, des disputes. Quand cela dépassait les limites, Papa arrivait et avait la main leste. Etant l’ainé et le plus fort, j’étais le premier servi. Cela a laissé des souvenirs à Alain qui était en position d’observateur mais aucun à moi.
Nous descendions aussi l’été dans le sud, en 404. Nous allions dans la villa de Huguette et Georges qui venait d’être construite. Paris-Marseille, un grand périple à cette époque sur la N7. Une succession de bouchons, spécialement à Montélimard. Je me souviens d’un trajet en 1966, pendant la finale de coupe du Monde, Angleterre – Allemagne, le dernier résultat de l’Angleterre Pendant une grande partie du voyage, nous chantions à tue tête. Un de nos hits était « Le travail, c’est la santé, rien faire c’est la conserver… » de Henry Salvador. Moins marrant, il y avait les moments où Papa fumait. Des gauloises. Alors, j’ouvrais la fenêtre. J’avais droit à la portière droite car j’avais mal au cœur et il fallait prévoir un arrêt rapide. Invariablement, Maman faisait la remarque que le temps changeait à Valence. Elle te demandait aussi de ralentir et de moins doubler. Sans beaucoup de succès.
Il fallait à Papa une ville plus grande pour trouver de meilleurs partenaires de bridge. Et, Maman voulait quitter la grisaille nivernaise. Vous avez eu votre mutation à Toulon. Nous rejoignions toute sa famille qui était à Marseille, avec le soleil en prime (ou inversement).
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