Nos années en Algérie, 1953-1962



Témoignage écrit pour les 80 ans de Papa.

L’air était chaud et la mer bleue. Dans le jardin de Pépé et Mémé, des orangers, des néfliers, un citronnier sur lequel je grimpais pour voir dans la rue. Tout le quartier me semblait habité par des amis de la famille et, souvent l’après-midi, nous rendions visite à nos voisins.

C’était avant le grand départ. Brutal. Dans une atmosphère lourde. Des gens dans les rues qui scandent « Al-gé-rie ! fran-çaise ! ». Tapant dans des casseroles. On parle de plasticage. Des barrages militaires dans les rues. Le couvre feu. Des conversations sur le ton de la conspiration. De gaulle haï par tous. Finie l’innocence.

Souvenirs des parties de pêche au cap de garde. Nous partions à l’aube. La veille nous préparions l’appât. Seuls, entourés des rochers, nous installions notre camp. Papa mettait en place les moulinets. Le soleil frappait dur. Mais j’ai toujours aimé le soleil. Et nous avions la mer pour nous réhydrater. Avec Jacques, nous partions à la recherche de minuscules crevettes translucides dans les petites poches d’eau entre les rochers. Quand la journée avançait, le sel collait de plus en plus sur la peau. Les poissons avaient des couleurs méditerranéennes. L’idéal était de tomber sur un banc de sarres. Là, c’était Bizance ! J’étais le premier supporter de Papa,  l’œil rivé comme le sien sur le bout de ses lignes. En fin de journée, invariablement il jouait les prolongations, espérant toucher le gros lot. Et j’aimais que cela soit ainsi.

Il y avait le tennis club dans lequel Papa jouait au bridge. Nous y jouions avec des bandes d’enfants dans ce cadre privilégié. Par précaution, pour éviter nos disputes, Jacques et moi, nous ne pouvions y aller qu’à tour de rôle. Première approche des courts pour moi. Papa était passé des échecs au bridge. Début d’une longue passion, voire d’une addiction.

Et, les déjeuners sur les terrasses du bord de mer, où vous mangiez des oursins avec des amis. Sans qu’on leur demande leur avis, les enfants avaient droit à une grenadine. Je collectionnais les capsules de bouteilles multicolores pendant que les adultes discutaient. Les promenades sur le port, les marchands de briques. Les pâtisseries arabes que nous ramenaient Béhia, la femme de ménage (on disait « bonne » à l’époque) quand ils faisaient des fêtes. J’adorais les macroutes.

Mémé était d’une extraordinaire gentillesse. Et, j’étais assurément gâté, comme d’ailleurs tous ses petits enfants. Mais, en bonne institutrice de la vieille école, elle avait aussi le sens de l’éducation. Non seulement, elle s’est occupait de nous mais elle corrigeait aussi les copies de maman et d’Huguette. Originaire du Béarn, elle était venue en Algérie parce qu’elle avait vu une annonce pour un poste à Clairefontaine. Le nom lui avait paru joli. Elle avait pris une chambre dans la pension que tenait la mère de pépé. Mémé, la patience et la flexibilité, et il en fallait avec pépé, mais, à l’occasion, un humour moqueur. 

Le rituel du repas du dimanche chez les grands parents avec les gâteaux qu’apportait Mademoiselle Thiré. J’avais droit au baba au rhum. Melle Thiré avait une maison indépendante à côté de celle de pépé et mémé. Institutrice comme mémé, elles ont toujours vécu ensemble. En Algérie comme à Marseille. Se vouvoyant et s’appelant par leur nom de famille. Melle Thiré, la parfaite vieille fille qui s’était dévouée pour ses parents. La générosité même. J’adorais aller chez elle jouer. Elle avait toutes sortes de jeu de l’oie. Nous jouions aussi aux petits chevaux. J’ai appris les cartes avec elle, la bataille, et j’étais déjà très content quand je gagnais.

Pépé et ses chevaux. Sa science. Sa passion. Sa vie. Des coupes à foison, de toutes les tailles et toutes les formes. Le respect de tous. Mais, pas un caractère facile. Papa a été son élève. Il était sûrement exigeant. Très récemment, Papa montait encore régulièrement. Mettant probablement à profit ses leçons. J’aurais aussi aimé monter. Mais, non. Autant, il pouvait prendre des risques, cachant ses chutes à mémé, recherchant les chevaux difficiles, autant, il fallait me protéger. J’étais le premier petit enfant. Forcément, celui qui pendant un temps a été au centre de toutes les affections. Maman me dira, tu as été trop aimé. Je crois que c’est une chance quand on est aimé par des personnes intelligentes et plutôt exigeantes. Cela m’amusé, quand t’ayant mis Léa dans les bras, j’ai entendu, «ma poule ». J’étais à ce moment, « Hugo ma poule ».

Un matin, Papa nous apprend la naissance d’Alain. Nous allons le voir à la maternité. Il me reste un souvenir d’eau de Cologne et d’un jour joyeux. Frédérique est née alors que nous faisions une partie de croquet avec Georges. C’était un dimanche après-midi, un jour de siroco. Un vent chaud qui charrie du sable rouge car il vient du Sahara. 

J’ai appris à lire avec la méthode globale. Je n’étais pas très motivé, je voulais que l’on m’explique d’abord à quoi cela servait d’apprendre à lire. Papa m’a dit un jour que j’étais dyslexique. Je pense que la globale n’était pas vraiment faite pour moi. J’étais aussi gaucher, à l’époque, c’était un peu considéré comme une tare. En fait, l’école ne me passionnait pas. J’ai eu un maître arabe, qui portait la chéchia. Le maître Haddi, un excellent maître. Maman m’a raconté qu’il lui avait dit, « Hugo, plus cela sera difficile, plus il réussira». Elle avait ajouté avec son humour… « ça, c’est sûr, tu cherches la difficulté ! » Quand il a fallu apprendre les tables de multiplication, j’ai rusé. Le maître faisait venir deux volontaires qui devaient réciter en même temps les tables de multiplication. J’étais toujours volontaire pour la table de 2 que je récitais à une vitesse supersonique. Pendant très longtemps, je n’en ai pas appris une autre.

Cela a été l’époque des skoubidous, puis de l’élevage des vers à soie. Il fallait trouver des feuilles de murier pour les nourrir. Du you-ya-houp, mais c’était plutôt le truc des filles. Nous, les garçons, nous collectionnions les images des footballeurs. Piantoni, Fontaine, Kopa étaient les plus cotés.

L’été, nous partions en vacances en France chez Mami à Vierzon. Voyage en caravelle. Nous sommes aussi allés à Arcachon, en compagnie de Max et Solange, mais on me l’a raconté car j’étais tout petit. Un autre été, nous avions loué une maison en Auvergne, à la campagne, La Johanade. Papa allait à la pêche et prenait beaucoup de poissons. Découverte de la vie à la ferme. Les vaches et leur cloche. Les moissons. Le cochon que l’on tue. La sanguette, une omelette avec le sang. Nous sommes allés à Clermont Ferrand dans une quincaillerie. J’ai eu une boite de clous dont je me souviens comme d’un trésor.

Avec Jacques, nous avons été envoyés en colonie de vacances. Mauvais souvenir. Le  directeur, faux jeton et pingre, les moniteurs qui avaient leurs favoris, les activités peu variées et pas beaucoup d’affinité avec les autres enfants. Les autres recevaient des colis, pas nous. Une seule lettre de maman que nous avons lue ensemble au pied d’un arbre, les larmes aux yeux. Autant dire que j’ai mis un véto catégorique à toute nouvelle tentative. 

Huguette, ma marraine, que nous appelions « tata Huguette », était encore célibataire. Elle habitait dans une bâtisse retapée au fond de la cour avec des poutres apparentes, dans laquelle il y avait eu les boxes de chevaux. Il restait encore les nombreuses plaques des victoires des chevaux. Et, puis elle a rencontré Georges. Un jour, ils sont allés à une soirée déguisée. Ils étaient en cow-boy. J’ai hérité ensuite de la panoplie, avec des pistolets où l’on mettait des rouleaux rouges de pétard dans le percuteur pour tirer.  Le mariage d’Huguette et Georges a été une grande fête dans le jardin de pépé et mémé. Nous sommes rentrés tard, à pied, par une belle nuit d’été étoilée. Nous habitions rue Jaume à ce moment, pas très loin du Boulevard Mermoz des parents de maman. Huguette m’offrait des cadeaux originaux. J’ai un beau tambour. Au début, cela m’a surpris, puis, finalement, je m’y suis attaché. Maman a protesté « tu as encore trouvé une façon de me casser les oreilles ». Cela a bien sûr faire rire sa sœur. 

Bône a la réputation d’être une belle ville. Mais, j’en ai peu de souvenir. C’était seulement la ville de notre famille et de nos amis et nous y étions bien. Aujourd’hui, c’est Anaba et personne n’y est retourné.

Mais voilà, un jour de décembre, Jacques et moi, nous avons pris l’avion pour Orléans où nos grands parents de France sont venus nous chercher. Grand moment de désespoir. J’ai pleuré pendant le vol toutes les larmes de mon corps. Jacques jouait sereinement avec les crayons de couleur et le livre de coloriage que lui avaient donnés les hôtesses. J’avais projeté de me cacher derrière le fauteuil en cuir du salon de mémé pour ne pas partir. Et, tout cela pour que l’on ne risque pas de manquer 6 mois de classe à cause de la guerre.     

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